Le vent. La pluie. Nuit noire.
Tous, hébétés, serrés, trempés jusqu'aux os au pied d'une montagne dont personne ne voyait le bout.
Quelques pas, hésitants.
Des corps s'affaissent, des cris retentissent, le mouvement est revenu.
"Il faut trouver un abris, s'élève une voix. Suivez-moi, on part à droite face à la montagne, portez les blessés et veillez à ne pas vous disperser."
La tête s'ébranle, le reste suit.
Ils ont un chef.
Comme un long serpent qui ondule, hommes, femmes et enfants s'étirent et se cherchent: le mot d'ordre est Unité.
Derrière le troupeau, une chouette s'élève.
Elle tournoie et file le long des flancs de pierre.
Une main sur la paroi, Anathros s'avance.
Ancien chef de la garde qui aujourd'hui n'a plus de raison d'être, il connait mieux que personne le coeur des Hommes.
Il exalte la troupe, plaçant quelques uns de ses soldats restant sur les côtés du groupe et affutant ses sens afin de trouver au plus vite un lieu de repos.
A l'arrière de la file, une chouette s'élève, tournoie un instant entre les bourrasques avant de longer la paroi de pierre. Elle aussi est en quête.
La marche continue, les enfants fatiguent mais restent silencieux, conscients de vivre là une aventure formidable. Nombreux sont les hommes à avoir ôté leurs vestes pour protéger de la pluie leur famille ou leurs amis et tout aussi nombreux sont ceux qui se relayent pour porter les blessés ou les prêtres assomés qui reprennent vaguement leurs esprits.
Au bout d'une demi-heure de marche qui semble durer une journée dans l'ombre, un cri s'élève.
Le hululement d'une chouette.
Peu de temps après, une caverne surgit de l'ombre, creusée par un cours d'eau qui surgit de la montagne. Au dessus de l'entrée, la chouette les regarde d'un air bienveillant et nombreux sont ceux qui la saluent, reconnaissant en elle quelque divinité originaire de leur nation. Anathros, lucide, fait arrêter la troupe pour partir en exploration armé de sa lance mais revient quelques minutes plus tard faire signe à ses hommes pour les inviter à entrer. Les groupes formés lors du transport se réunirent en cercle et partagèrent leurs victuailles dans l'ombre. En l'absence de bois et de prêtres assez remis pour dessiner un feu, tout le monde mangera froid.
Après avoir levé les yeux vers le ciel, du moins avoir pensé très fort le faire, le jeune rapace s'envola pour lisser ses plumes au fond de la caverne, loin des soupirs affamé des bambins qui, voyant la situation revenir à la normale, ne trouvèrent plus de prétextes pour réfréner leurs instincts. Elle fut bientôt rejointe par une famille qui la cacha afin de la laisser se retransformer avant de la réprimander... silencieusement.
"Sois plus discrète, Amy! Ce n'est pas parce que les romains et les cogistes ne sont plus là qu'il faut se laisser aller! Rappelle-toi les dernières paroles de ta mère: "ne vole pas trop haut ou ils t'abattront." A peine quelques heures plus tard, tu trouves le moyens d'enfreindre sa loi?
- Ce n'était pas une loi mais un conseil et je suis sûre qu'elle est plus heureuse de me voir prendre quelques risques minimes plutôt que de nous laisser prendre par surprise par un ours ou un autre de ses charmants carnivores. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser."
Elle quitta le cercle de regards indignés avec une déconcertante facilité et s'approcha de son époux qui, à l'aide de sa nièce, s'occupait de leur petit garçon.
"Alors, Asklarion, comment se porte-t-il?
- Il va très bien, répondit Yawë, qui s'occupait de sortir les quelques vivres qu'elle avait pu emmener. Il n'a même pas eu froid et a à peine eu besoin d'un petit coup de pouce pour s'endormir.
- Eh bien, je vois que je n'aurai bientôt plus rien à faire, souria-t-elle. Où est donc encore passé ton père?
- Il est parti vérifier l'état des prêtres avec grand mère mais il va bientôt rentrer. Maman est allée voir s'il n'y aurait pas des ressources exploitables, fit-elle en baissant la voix, pour nous protéger un peu mieux du vent.
- Je vois qu'ici aussi la raison est de mise... Mais bon, en temps de crise il faut savoir exploiter toutes les ressources à disposition, finit-elle avant de reprendre son petit garçon qui commençait à s'agiter."
Après une nuit courte et froide, la petite communauté se réveilla sous un soleil timide qui leur fit découvrir leur environnement.
Ils découvrirent qu'ils avaient en fait atterri sur un pan de la montagne et non à son pied. La surface plane qui les avait accueilli s'élevait le long d'une paroi douce où dévalait le ruisseau présent dans leur refuge avant de s'infiltrer au coeur d'une forêt touffue de chêne et de hêtres où pointaient parfois quelques arbres fruitiers sauvages. Le vent doux, vestige de la tempête de la veille, portait quelques oiseaux aux plumes dorées qui disparaissaient au loin. De leur gauche parvint les cris étonnés d'oiseaux surpris par quelques prédateur et qui surgirent bientôt d'une clairière toute proche pour se précipiter en courant vers l'autre bout de l'espace dégagé, bientôt suivis de loups noirs qui passèrent sans leur prêter la moindre attention.
Bien sûr, l'image séduisit bien vite les enfants et les parents, qui n'avaient jamais vu la Gaule et trouvaient décidément que cet endroit tranquille et giboyeux serait parfait pour élever une progéniture. En revanche, les plus anciens des prêtres, qui eux étaient déjà allés en Gaule pour leur réunion, se réunirent à l'écart pour décider d'une ligne de conduite.
"Je gardais une autre image de la Gaule... Quelqu'un sait où nous sommes?
- A l'abri. Et c'est déjà ça. Peut importe où du moment que c'est loin des troupes adverses. Sécurité. N'était-ce pas là le mot d'ordre de notre passage? Alors tant que la paix est là, restons où est la paix."
Et l'histoire en resta là puisque leur nouveau chef venait à eux pour leur demander où aller. Ce à quoi ils répondirent très approximativement.
Après quelques minutes de discussion, ils convinrent que le mieux était encore de rester en hauteur où les prédateurs ne les attaqueraient pas tout en étant assez proche d'un passages pour pouvoir descendre chercher des matières premières dans la forêt. Ainsi, ils se séparèrent en deux groupes constitués des hommes les plus robustes qui suivirent chacun un pan de la falaise avec pour instruction d'envoyer un de leur membre en cas de découverte et de toute façon de rentrer à partir de l'après-midi. Après départage des différents lieux trouvés, ils choisirent une petite plaine dont la couche terreuse avait été balayée par la pluie qui avait creusé dans la roche le lit d'un ruisseau qui serpentait maintenant le long de la paroi et où l'on pourrait facilement loger un village d'une vingtaine de familles. Il fut accepté à l'unanimité, d'autant plus que le ruisseau avait creusé un chemin qui aboutissait juste devant un bosquet de chênes qui, une fois abattu et remontés, serviraient à construire leurs habitations. Soudain animés d'une énergie nouvelle devant le vaste champs des possibles qui s'offraient à eux, le groupe des rescapés ne tarda pas à organiser des projets de plus en plus audacieux jusqu'au diner où tous se réunirent autour du feu de bois au centre de leur futur village où ils échangèrent leurs idées. Après la fête qui inaugura la découverte de leur futur lieu de vie, Amy se retira avec son fils pour le présenter aux étoiles. Bientôt, elle fut rejointe par toute la communauté des grecs qui avaient été choisis pour émigrer. Tous avaient des liens de parenté plus ou moins forts et tous étaient conscient qu'ici s'offraient une chance unique.
Quinze visages saluèrent le nouveau monde.
Quinze représentants de Familles souvent méprisées ou crainte qui se voyaient aujourd'hui acceptées au sein d'une communauté étrangère aux pouvoirs secrets.
Sous le regard de la lune, ils dirent tous adieu à la vie sauvage.